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St Alberto Hurtado SJ
Alberto Hutado (101-1952) fut un jésuite, avocat et travailleur social chilien qui devint en 1944 le fondateur de l’influent « Hogar de Cristo », une association dans le but d’apporter des logements et des recueils aux pauvres et jeunes abandonnés de Chili. Il était dédié à la reconnaissance et à la compréhension de l’Enseignement Social Catholique. Il publia un nombre important de livres et fonda le journal « El Mensaje ». En 1947, il participa à la création de l’Association des Syndicats du Chili. Il était très demandé comme prédicateur influent et comme directeur de retraite pour jeunes gens. Il mourut d’un cancer âgé alors de 51 ans et fut vénéré à travers le Chili pour sa sainteté. Il fut canonisé par le pape Bénédicte XVI en 2005.
C’était en 2005 que j’eus la chance d’être envoyé à Santiago pour six mois, suivre un programme d’étude et de prière jésuite, le « Troisième An », afin d’achever ma formation officielle jésuite (officielle car sait-on que la vrai formation se fait jusque six pieds sous terre. Cette année-là un évènement marquant pour l’Eglise chilienne devait avoir lieu : la canonisation à Rome du deuxième saint chilien, un prêtre jésuite appelé Alberto Hurtado. On pouvait très bien encore se souvenir du Père Hurtado, comme on l’appelait à travers le pays, car il n’était mort qu’en 1951. Un quartier de Santiago portait son nom et il était devenu ce genre de héros que les cultures latines citent sans cesse et admirent. Une immense célébration était prévue à Rome, l’hurtadomania était à l’ordre du jour et personne n’était plus pris dans cette euphorie que mes frères Jésuites. Apres tout, ce n’est pas tous les jours, qu’un homme que l’on connait bien, un membre de la famille si vous préférez, est élevé au rang de saint.
Sans aucun doute, Hurtado était quelqu’un remarquablement doué. Il semble qu’il ait exercé une étonnante variété d’activités, si diverse, qu’une seule activité aurait pu demander l’attention d’une vie entière. Il avait suivi, comme tout autre Jésuite, une longue formation intellectuelle et spirituelle ; il avait également accompli un doctorat en pédagogie. Il s’impliqua dans les problèmes concernant les politiques sociales, les syndicats et la pauvreté. Il s’intéressa particulièrement à la vie de l’Eglise et écrivit des articles interpelant ses pairs catholiques sur leurs idées conventionnelles. Il fonda un journal, « El Mensaje », encore publié aujourd’hui. Il offrit des retraites et des guidances spirituelles qui influencèrent la vie d’innombrables personnes. En particulier, il s’engagea inlassablement à travailler pour les pauvres et les marginaux, un sujet toujours autant d’actualité, en fondant une association caritative « Hogar de Cristo ».
En d’autres mots, Hurtado avait une vision globale de l’Evangile. Il savait que Jésus Christ appelait à une réponse de l’esprit et du cœur. D’autant plus, il voulait trouver des voies, aussi nombreuses que possible de servir l’Evangile de façon très concrète, y compris manuellement. Peu lui importait la trivialité de certaines de ces tâches s’il le faisait pour le Christ. C’est assez commun de trouver des voies qui nous conviennent afin de se consacrer entièrement à une seule excellence, mais pas pour Hurtado. Intriguant…
A cause d’un grave défaut de caractère, j’entretiens une aversion modérée pour les héros. Hurtado était un héros pour une foule de chiliens ; alors, par défaut, cela provoqua chez moi une sorte d’antipathie involontaire seulement quelques jours après m’être exposé à lui. Grossière erreur. Hurtado, comme je le découvrirais plus tard, était un homme dont la sainteté ne se manifestait pas tant par le calvaire, le prêche que l’on nous a inculqué ou la pureté morale (bien que ces derniers eurent été très présent dans sa vie) mais dans la manière dont il avait appris à agir au service de Dieu, une manière qui montrait comment se libérer des turbulences qui dominent les vies plus ordinaires. Et par cela, je m’apprêtais, sans le savoir, à apprendre énormément.
Au lieu de cela, je me confortais dans un sentiment d’agacement envers ce qui était pour moi une détermination fatigante et un activisme moralisateur. Les gens importants trop occupés à se quereller sur ce qu’il avait transmis, ou bien les affiches à son image dans les supermarchés, ou bien les slogans qu’on lui avait attribués comme « Qu’aurait fait Jésus ? », « Chili est-il encore un pays catholique ? », renforcèrent ce sentiment. Alors à ma grande honte, je choisis la politique de l’autruche restant éloigné de la voie d’Alberto.
Mais quelques mois plus tard, à mon retour à Londres, je feuilletais une collection d’écrits, des pièces courtes, des articles et des discours d’Hurtado. Lors de ma lecture, je ressentis un changement. Une pièce en particulier eut de l’effet. Ce fut une réflexion personnelle de 1947 intitulée « L’homme d’action » qui me toucha profondément.
« Il faut parvenir à la loyauté totale ! À une absolue transparence, à vivre de telle sorte que rien dans mon comportement ne rejette l’examen des hommes, que tout puisse être examiné. Une conscience qui aspire à une telle rectitude perçoit les moindres déviations et les déplore, se concentre en elle-même, s’humilie et trouve la paix. »
Cela paraissait exigeant. Il n’y avait pas beaucoup de chance que j’y parvienne. Vivre une vie absolument droite ? Pour moi cela semblait dire vivre une vie sans péché : impossible. Mais ce n’était pas exactement ce qu’Hurtado voulait dire. En fait, selon lui, lorsqu’un péché survient, soit au stade de l’intention soit à celui du fait accompli, ce qui importe est la façon dont il est traité : reconnaitre la « déviation », la déplorer et puis « s’humilier » afin de trouver la paix. Mais que veut-il dire par « s’humilier ». Je commençai à m’efforcer à comprendre les paroles du saint mais simultanément trouvait son tutorat spirituel étrangement attirant.
« Je dois toujours me considérer au service d’une grande œuvre. Et comme mon rôle est de servir, ne pas rejeter les humbles tâches, les modestes rôles d’administration, même ceux de propreté... Beaucoup désirent disposer de calme pour penser, pour lire, pour préparer de grandes choses, mais il y a des tâches que tout le monde rejette, que celles-là soient mes préférées. Tout doit se faire, si on veut que l’œuvre se réalise. »
Garder en vue l’œuvre à laquelle mes efforts n’apportent qu’une moindre contribution : ça allait de soi. Mais ensuite, la réflexion devient assez intransigeante ; ce qui la rend inconfortable. Combien de fois m’etais-je excusé de ne pas accomplir les tâches domestiques, routinières avec comme prétexte ma formation qui me plaçait au-dessus d’elles. Mais oui, la priorité de mon esprit, tapis dans les ombres qui dissimulent la vérité, n’était-elle pas la raison de ma gloire ? N’était-ce pas l’écriture de choses brillantes ou originales, ou l’acquisition d’un savoir encyclopédique de sujets complexes qui m’avait apporté une belle réputation ? Devrais-je vraiment préférer l’exécution de corvées, invisibles aux yeux des autres et non-récompensées : « Oui, tu devrais… »
« L’humilité consiste à nous mettre à notre place. Devant les hommes : pas en pensant que je suis le dernier de tous parce que je ne le crois pas ; devant Dieu : reconnaître constamment ma dépendance absolue par rapport à Lui, et que toutes mes supériorités par rapport aux autres proviennent de Lui. »
Quelle perspicacité, si honnête et si réelle. « L’humilité » comme je l’avais comprise, devrait être de toujours percevoir les autres comme meilleurs que moi. Je n’y était pas vraiment parvenu, vous comprenez. Mais l’humilité qu’évoquait Hurtado était bien plus difficile. Cela demanderait de très bien me connaitre, de prendre responsabilité de mes dons plutôt que de trouver des excuses pour ne pas les utiliser, et enfin d’accepter l’inévitable blessure de l’ego qui suit la correction. Je devrais même apprendre de mes erreurs sans compenser par cette mascarade qui me caractérise. En poursuivant ma lecture, je commençais à comprendre qu’Alberto avait vraiment vécu sa vie par les « Exercices Spirituelles » de Saint Ignace de Loyola, le fondateur des Jésuites. Il avait trouvé le moyen d’exprimer cette sagesse pratique et spirituelle qu’Ignace avait transmis à ces frères. Et ce qu’il avait découvert et énoncé était radical, exigeant et étonnamment attirant. Cela me rappela la raison pour laquelle j’avais rejoint les Jésuites et pourquoi je m’étais épris de cette spiritualité qui me connectait à Dieu au quotidien comme si, minute par minute, je pouvais vivre comme compagnon de Jésus, recevant la grâce de ses encouragements. Mais également je pouvais me retrouver corrigé, mis à l’épreuve et remis fermement sur le droit chemin.
Dans une vie consacrée à la spiritualité, il est facile de s’ancrer dans une version médiocre de ce à quoi l’on aspire ; une fausse sainteté. C’est pour cela que nous avons besoin de l’exemple de la vie des saints pour nous montrer ce qui est vrai et laisser Dieu nous remettre en place : mots et pensées, prière et action, le tout ordonné pour créer une vie cohérente offerte dans son intégralité au Seigneur. Aucun piètre exploit. Il ne nécessite pas moins qu’une transparence totale envers Dieu. Seule une âme aussi transparente pourrait distinguer cet égotisme masqué qui empêche la perception de la grandeur de Dieu.
« Munificence, magnificence, magnanimité, trois mots presqu’inconnus en notre temps. La munificence et la magnificence ne craignent pas de dépenser pour réaliser quelque chose de grand et de beau. Elles cherchent autre chose que d’investir et de remplir les poches des partisans. La personne magnanime pense et réalise d’une manière digne de l’être humain : elle ne se replie pas sur soi. Aujourd’hui, il y a de si grands besoins, car tout se tient dans le monde moderne. Celui qui ne pense pas en grand, en fonction de tous les hommes, est perdu d’avance. On te dira peut-être : " Attention à l’orgueil !... pourquoi penser si grand ? " Il n’y a aucun danger. Plus la tâche est grande, plus on se sent petit devant elle. Il vaut mieux avoir l’humilité d’entreprendre de grandes choses au risque d’échouer, que de tomber dans l’orgueil de vouloir réussir en se repliant sur soi. »
P. Damian Howard SJ